La présentation réunit les artistes de la scène nigériane Tonia Nneji (Lagos) et Wole Lagunju (diaspora nigériane aux USA), avec Soly Cissé (Dakar/Paris). Les œuvres de Tonia Nneji (1992), présentées pour la première fois à Paris, explorent la condition féminine dans son pays. Wole Lagunju (1966) hybride les représentations de pouvoir des monarchies européennes des siècles passés avec celles de l’ancien royaume Yoruba et propose des perspectives historiques différentes. Soly Cissé (1969) introduit le temps et le mouvement dans ses scènes qui, telles des allégories, traduisent les maux de notre société. Réalisant une des fusions les plus efficaces entre tradition et modernité, ces artistes restituent la dimension vivante de leurs cultures et renversent l’appropriation artistique dont leurs œuvres ont fait l’objet par les avant-gardes artistiques européennes.
Tonia Nneji s’empare du format européen réservé, à partir du XVIIème siècle, aux portraits des riches et des puissants. Le cadrage serré de ses figures à la peau noire, sans visage, et le contraste avec l’arrière-plan, faussement neutre, leur donnent un relief et une forte dynamique qui les propulse au-devant du spectateur. La composition participe à l’implication sociale des modèles. Les détails des robes contemporaines présentent, dans leurs plis et cassures, des motifs de l’église triomphante, révélant l’ordre colonial.
Les subtils dégradés de tons de l’arrière-plan laissent apercevoir un décor religieux, peint ou sculpté. Cette iconographie religieuse est chargée de sens au Nigéria où les églises, les puissantes communautés religieuses, jusqu’aux herboristeries, restent des alternatives à un système de santé défaillant. Dans la note blanche d’un sac, au premier plan, les fashion victims devineront le nom, à demi coupé par le cadrage, du numéro 1 mondial de la distribution des grandes marques de sport. Il a pour fonction de conduire l’œil du spectateur jusqu’à l’arrière-plan, une stratégie bien connue des maîtres anciens. Les deux espaces relient symboliquement ciel et terre, sacré et profane, rédemption et tentation.
Signification ultime, ce sac porte la marque Foot Locker, entreprise qui s’est engagée récemment à soutenir les communautés noires contre la discrimination raciale en Amérique.
À la jonction de cultures plurielles, Tonia Nneji se réfère à la peinture européenne dont elle détourne les codes tout en faisant du textile un outil culturel. Emblématiques de sa culture Igbo, ces textiles intemporels, avec leurs motifs d’une inventivité graphique infinie, sont transmis par les mères et les grand-mères et racontent la longue histoire coloniale. Si Tonia Nneji restitue, dans ses peintures, la puissance expressive des tissus ankara ayant appartenu à sa mère, c’est qu’ils ont disparu à jamais, vendus en règlement des frais de santé de l’artiste. Toute la conscience critique de l’artiste se trouve là, dans les cassures de ces plis – un défi en matière de représentation – qui font appel à la mémoire d’un vécu, à la fois intime et partagé avec beaucoup de femmes dans son pays. Le diktat des communautés religieuses envers les femmes, la culture de la honte, le contrôle de leur corps, la pudeur forcée, conditions sine qua non à l’accès aux espaces religieux…
L’expérience intime devient porteuse de revendications collectives.
Les figures qui habitent les toiles de Tonia Nneji, qu’elles soient isolées et mises sur un piédestal artistique ou groupées, faisant virevolter leurs étoffes, génèrent une variété d’émotions contradictoires, refoulées sans cela. Drapé autour des corps, des murs et des meubles, le textile apporte à l’artiste un sentiment de protection et une certaine résilience.
Wole Lagunju emprunte aux souverains européens l’emblème de leur pouvoir, la fleur de lys, pour l’intégrer aux couronnes des Oba, symbole de l’autorité royale chez les anciens Yorubas. Jusqu’au XIXème siècle, cet Empire rayonnait comme l’un des grands centres artistiques et culturels, au sud-ouest du Nigéria. De son côté – et c’est l’un des aspects les plus méconnus de la diplomatie de Louis XIV – le Roi-Soleil entretenait des rapports personnels avec les rois de l’Afrique occidentale, depuis les côtes de la Mauritanie jusqu’aux frontières du Bénin et du Nigéria actuels.*
La vision critique de Wole Lagunju réinterprète les représentations de pouvoir dans la culture occidentale des siècles passés, leur faste provenant du produit de l’esclavage et de l’oppression coloniale. Ses sujets au magnétisme physique hors du commun explorent les hiérarchies postcoloniales et l’hybridation et délivrent un message universaliste, incluant les rapports de pouvoir, de genre et d’identité.
Wole Lagunju donne aux hauts dignitaires yorubas le format du portrait en buste transmis, dans la peinture occidentale, des Princes aux bourgeois. Se détachant sur un fond neutre, les monarques portent crânement sur leurs têtes leurs couronnes, emblèmes de leur pouvoir. Sur le pourtour figurent les symboles de la création de l’univers Yoruba : serpent, oiseau, panthère, crocodile ou salamandre… et sur les côtés, de nombreux oiseaux. Les monarques regardent le spectateur droit dans les yeux, affirmant leur appartenance à une classe. Les coiffes sont traitées, non comme une parure traditionnelle gelée dans un temps antéhistorique, mais avec la touche d’un créateur de mode contemporain. Comme un styliste, l’artiste habille de manière décalée des modèles représentatifs de la société occidentale qui partent à la conquête du monde.
Avec la fleur de lys, motif récurrent de la série, Wole Lagunju établit une analogie entre l’un des plus puissants Empires de l’histoire de l’Afrique – l’actuel Nigéria et Bénin – et les monarchies européennes. Ces liliacées ont représenté, jusqu’à la Révolution – avec un bref retour à la Restauration – le blason de la couronne de France et l’incarnation de la puissance, du pouvoir et du rayonnement de son roi. Pour sa part, le royaume ancestral des Yorubas, désintégré au début du XIXème siècle, n’en représentait pas moins un cadre fondamental, à la fois politique et social, avec à sa tête, un roi à l’autorité absolue.
Louis XIV et l’Afrique noire, Tidiane Diakité, ed. Arléa”
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