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L’ART TEXTILE TISSE SA TOILE, AKAA 2022

Un article de Marie Moignard

DIPTYK MAGAZINE OCT. 2022

L’édition 2022 de la foire AKAA est marquée par une forte présence des oeuvres d’art textile. Dépassant largement le lien de parenté avec l’artisanat, la complexité technique et la portée spirituelle de ces pièces uniques en font de nouveaux objets de désir.

 

AKAA, Also known as Africa Carreau du Temple, Paris, 21-23 octobre 2022

Coudre, nouer, enfiler, suspendre, couper… Les artistes manipulent le tissu comme n’importe quel matériau, avec peut-être même une sérieuse valeur ajoutée. Le textile a la particularité d’interroger l’identité au sens large : il raconte des histoires, exprime des messages ou préserve une mémoire. Il n’est pas inintéressant de rappeler que la notion de tissu, du latin textus, a donné le mot « texte », et c’est bien comme cela que les artistes l’envisagent. Cette année, AKAA semble enfoncer le clou en présentant une dizaine d’artistes ancrés dans cette pratique. Dans le camp des oeuvres d’art textiles pures, on trouve le doyen Abdoulaye Konaté, représenté par la Galerie 38 (Casablanca). Dès les années 1990, il bascule de la peinture vers la grande tradition de la tapisserie. Ce sont de véritables oeuvres murales où la matière textile évolue subtilement selon les variations de lumière et de souffle d’air. Toujours réalisée en bazin, la toile traditionnelle du Mali, la dernière oeuvre d’Abdoulaye Konaté rend hommage à la femme marocaine.

 

Moins sage, la grande tendance du moment est l’amas de matière, l’explosion de tissus au mur. La mouture 2022 de la foire AKAA en propose un large spectre. Hyacinthe Ouattara (Afikaris, Paris), qui vient du dessin, a commencé par travailler sur l’anatomie des tissus cellulaires pour en faire des « cartographies humaines ». Questionnant l’équilibre et le déséquilibre, il joue dans ses oeuvres sur l’effet de suspension, qu’il peut présenter au mur comme au sol. Ses oeuvres, comme celles de Samuel Nnorom (Galerie Chauvy, Paris) avec ses bubbles composées de tissu ankara (équivalent du wax) glané sur des marchés aux vêtements d’occasion, ou encore celles de Sanda Amadou (OpenArtExchange, Schiedam), infusées par la culture nomade fulani (peul) de son Bénin natal, dessinent une nouvelle abstraction qu’on ne peut s’empêcher de mettre en lien avec la culture du tressage de cheveu, formes visuelles immortalisées en photographie par J. D. ‘Okhai Ojeikere.

Indéfinissables, les oeuvres textiles s’apparentent souvent à des créations mix media qui incorporent allégrement les arts visuels à la sculpture ou aux arts graphiques. Comme Atsoupé chez Anne de Villepoix (Paris), qui mêle dans ses peintures rubans, fragments de laine, napperons, etc. Ses récentes Têtes sont devenues de véritables attrape-rêves qui s’extraient du mur, où le textile remplace la touche du pinceau. Certains artistes flirtent encore davantage entre 2D et 3D, réinventant la peinture, l’art textile ou la sculpture – on ne sait plus bien et c’est ça qui est passionnant. Le jeune Sud-Africain Abongile Sidzumo (Africa First, Tel Aviv) utilise le cuir comme on ferait des aplats de peinture acrylique, associant son processus de couture à la notion de guérison, en mémoire des traumatismes de l’Apartheid. Sa compatriote Turiya Magadlela (Kalashnikovv Gallery, Johannesburg) assemble quant à elle des collants de femme de différentes teintes pour dénoncer les violences racistes et sexistes.