La présentation réunit deux artistes majeurs de la scène internationale, Soly Cissé et Wole Lagunju. L’installation de Soly Cissé « Champ de coton » se rattache au rôle de la mémoire de l’esclavage et à sa persistance contemporaine. L’artiste soulève les questions posées par les migrations et les confrontations identitaires. Wole Lagunju, dont le pays, le Nigéria a payé un lourd tribut à ce trafic, juxtapose librement, aux portraits de sources artistiques de diverses époques de l’art occidental, des masques de la culture Yoruba. En réponse à la mondialisation, l’artiste réussit une des fusions les plus efficaces entre tradition et avant-garde.
Depuis 2018, Soly Cissé travaille à des oeuvres à caractère mémoriel qui traduisent son regard sur la société et l’histoire. Une histoire, éprouvée de l’intérieur, liée à des lieux de mémoire hantés par des siècles de trafics esclavagistes.
L’installation présentée à l’occasion d’Art Paris : *« Champ de coton » est un puissant hommage aux millions d’hommes et de femmes arrachés à leur liberté et à leur terre. Elle nous transporte vers la Caraïbe, la Louisiane, l’Alabama, la Géorgie.… Dans ce théâtre de la Mémoire, nulle présence humaine, nul arrangement sonore comme initialement prévu par l’artiste. Seule prédomine la force évocatrice et symbolique. Au-delà d’une composition picturale par laquelle deviendrait belle la souffrance humaine, elle dit le poids des sacs, les mains écorchées, le bruit des chaînes aux pieds d’où le jazz tient son rythme. Pourtant, de ces champs de souffrance sont nés une culture, des chants, un peuple et une victoire, celle de l’abolition… Un monde a été créé. La mémoire peut advenir si l’histoire est transmise sans rien en exclure.
Soly Cissé a réalisé une première installation sur ce thème composée de 170 sculptures. Exposée en 2018 dans le cadre de la Biennale OFF par la Fondation Dapper sur l’île de Gorée, elle est aujourd’hui en vue au Musée des Civilisations Noires (M.C.N.) de Dakar et n’a pas franchi les mers, contrairement aux populations concernées.
Le champ de coton installé à l’île de Gorée comptait près de deux-cents tiges de fer soudé de deux mètres de hauteur avec leurs fleurs en fibres de coton. Dans ce lieu hanté par cette sombre histoire, un passé enfoui, soudain reprenait forme avec une puissance visuelle décuplée. Á une indiscutable qualité paysagère, s’ajoutait une prise en compte environnementale opportune. Invité à pénétrer dans les allées sablées, le public subissait une sorte de mise à l’épreuve augmentée pour certains d’un puissant sentiment d’appartenance avec ceux qui les avaient précédés dans ces lieux.
Métaphore du travail forcé et d’un esclavage contemporain déguisé – la simplicité d’un champ de coton, reconnaissable par tous, dans le monde entier, induit, au même titre que la capacité de résilience de son cycle végétal, la reconnaissance des formes de déni du passé. L’installation permet de questionner les rapports de pouvoir et d’identité tout en jouant à la fois avec le présent et une histoire universelle.
Traduire sur un plan formel, le présent et l’avenir sans occulter les multiples formes de servitudes du passé, c’est bien là le défi de Soly Cissé. Le travail forcé, les asservissements de toutes sortes se perpétuent dans certaines parties du monde en dépit de la reconnaissance des droits civiques. Au cœur de la démarche de l’artiste, la mémoire personnelle rejoint la mémoire collective et l’Afrique, l’universalité. Son travail se joue sur la ligne de tension entre ces territoires et ceux de l’avant-garde, au-delà de toutes questions identitaires.
Originaire d’Osogbo, une ville au sud-ouest du Nigéria, Wole Lagunju, basé aux Etats-Unis depuis une décennie, crée une œuvre percutante à la croisée de techniques plurielles : peinture, dessin, mode, design, installation textile… Une collaboration avec le Goethe Institut de Lagos le conduit à s’installer au milieu des années 90, en Allemagne. De cette époque, date l’introduction du masque traditionnel gélédè dans ses compositions avant-gardistes. L’artiste propose une redéfinition de ce masque, non comme un objet traditionnel d’un temps antihistorique mais dialoguant avec la réalité contemporaine, questionnant les rapports de pouvoir, de genres et d’identité. Animé d’un profond sens de l’histoire, Wole Lagunju utilise la richesse artistique de sa culture yoruba, un des groupes culturels les plus forts et les plus importants d’Afrique, au sud du Sahara, pour en souligner la dimension contemporaine. La version contemporaine du style décoratif traditionnel des yorubas : l’onaïsme, habille ses représentations de sex-symbol et stars de cinéma, du passé et du présent. Ces motifs ornementaux envahissent depuis peu l’arrière-plan des compositions, construisant un espace ouvert où semblent flotter ses personnages. Sa vision critique des représentations du pouvoir dans la culture occidentale des siècles passés, leur faste, provenant du produit de l’esclavage et de l’oppression coloniale, les défis de la mondialisation, l’hybridation des cultures, sont les socles de ses réflexions revus au travers du prisme de sa culture. Cette culture, jugée par les archéologues, d’un niveau égal à celui de la Grèce classique, est aujourd’hui menacée à la fois par les fondamentalismes religieux et par les retombées de la globalisation.
La toile de grand format présentée à l’occasion d’Art Paris : Spirit of Mami Wata, est une œuvre emblématique du travail de Wole Lagunju. Dans un espace décoratif où les éclats de couleur d’une liberté absolue, semblent déborder de la toile, une figure centrale paraît se projeter, mais, asexuée et sans visage, elle participe de la structure générale. Sans traits distincts elle est : esprit, déesse, déesse-mère, c’est : Mami Wata, considérée comme la première femme de l’univers Yoruba. Elle témoigne des croyances, des traditions, de la complexité d’une culture dont l’apogée est antérieure de plus d’un siècle au premier contact avec les européens. Puissance ambivalente et imprévisible, la divinité est censée entraîner son lignage vers un futur positif et une harmonie sociale. Elle est célébrée dans les fascinantes mascarades gélédè, auxquelles l’artiste a assisté dans son enfance à Osogbo. Les porteurs de masques sont des hommes qui célèbrent le pouvoir des femmes afin de se ménager leur bienveillance Sans cesse réinventées, modifiées dans leurs sens et leurs fonctions, suivants les lieux, par ceux qui y participent, ces mascarades sont pour les yorubas, support d’histoires, de mythes et rappels de leurs luttes au temp de l’esclavage et de la colonisation
La divinité porte ses couleurs symboliques : le rouge et le blanc, mais vêtue à la dernière mode – en témoignent ses chaussures du dernier cri – elle brouille la frontière entre mythe et réalité contemporaine. L’artiste, en prise avec son époque, s’approprie un langage nouveau : l’avant-garde sert içi, à lire la tradition et non l’inverse comme dans le monde occidental. Wole Lagunju nous place face une oeuvre chargée : l’histoire complexe de l’hybridation des cultures et la réinterprétation de l’esthétique pré et post-coloniale.
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